Il y avait longtemps que je n’étais pas allée au théâtre. J’aime le théâtre, même si je ne suis pas une spécialiste… j’aime voir, ressentir sur scène, tout près, une histoire… voir les acteurs, ressentir une ambiance, vibrer… j’ai tellement aimé plus jeune aller en Avignon pour son festival, unique… des vrais moments de bonheur.
Hier, se donnait à Charleville, au théâtre municipal, « Lucrèce Borgia », pièce de Victor Hugo, mise en scène par David Bobée avec en tête d’affiche, Béatrice Dalle pour ses premiers pas sur scène… oui la fameuse inoubliable Betty de « 37°2 le matin » de Jean-Jacques Beinex. Je vous avoue qu’à l’époque j’avais beaucoup aimé et j’avais été marquée par ce film fort, fou, plein de passion… et bien sûr en particulier par Béatrice Dalle. Sa sensualité animale me paraissait tout à fait adaptée à ce rôle, à ce personnage complètement sulfureux qu’est Lucrèce Borgia. Hummm je vous le dis de suite, déception totale de ce côté-là… mais attendons un peu avant d’aller plus loin. D’ailleurs, avant de parler plus en détails du spectacle, attention pour les personnes qui souhaitent aller voir ce spectacle qui je peux déjà vous le dire est un très très beau moment d’émotions, ne lisez pas la suite. Car je vais dévoiler donc spoiler des effets de mise en scène qu’il est franchement plus « fun » de découvrir au moment du spectacle !
La pièce, le contexte :
« Lucrèce Borgia est une pièce de théâtre en prose de Victor Hugo, représentée pour la première fois au théâtre de la Porte-Saint-Martin le 2 février 1833.
Elle raconte l'histoire de Lucrèce Borgia. Plus encore que dans les autres pièces de Hugo, le « grotesque » est poussé à l’extrême ».
Wikipédia
Je vous avoue que je n’ai pas lu cette pièce et qu’après avoir vu la représentation théâtrale, j’en ai très envie… je vous raconterai !
Résumé éditeur de la pièce d’Hugo :
Indifférente à la haine de l'Italie entière, Lucrèce Borgia parade au carnaval de Venise. Qui pourrait inquiéter cette femme de pouvoir qui baigne dans l'adultère, l'inceste et le crime ? Elle a peur cependant, et tremble. pour un simple capitaine qu'elle cherche parmi la foule. Il se nomme Gennaro. Il est amoureux d'elle, lui qui tient les Borgia en aversion et insulte leur blason. Or Gennaro n'est autre que son fils, né de ses amours incestueuses avec son propre frère, et le jeune homme ignore tout de son passé et de ses origines. Lucrèce est un monstre, mais aussi une femme et une mère. Comment protéger son enfant, comment le soustraire à la fureur d'un mari qui le croit son amant ?
En 1833, ce mélodrame tragique surpasse tous les triomphes de Victor Hugo.
Lien vers la fiche de la pièce sur Babélio
http://www.babelio.com/livres/Hugo-Lucrece-Borgia/9841
Voilà pour les faits… maintenant passons à cette mise en scène, très originale, pleine de punch… de David Bobée.
Ce jeune metteur en scène a fondé sa compagnie Rictus en 1999 à Caen. Il œuvre pour un théâtre sans frontières. Ses interprètes sont acteurs, danseurs ou acrobates, professionnels, amateurs ou en situation de handicap, et brillent par leur diversité de nationalités et de cultures. David Bobée est engagé dans une recherche théâtrale originale (il nous l’a prouvé hier à Charleville !). Depuis septembre 2013, il est directeur du Centre Dramatique National de Haute-Normandie, premier CDN à vocation transdisciplinaire.
Résumé du spectacle :
Gennaro, soldat de fortune, ne sait de qui il est né. Lors d’un bal il rencontre à Venise la célèbre Borgia qui paraît vouloir le séduire mais les compagnons de Gennaro la reconnaissent et l’insultent.
Gennaro part avec ses compagnons à Ferrare où règnent Lucrèce et son époux Alfonse d’Este ; il injurie la duchesse en arrachant une lettre de son blason au fronton de son palais : Borgia devient alors Orgia… Alfonse d’Este imagine qu’il est l’amant de Lucrèce et tente de l’empoisonner ; mais Lucrèce le sauve, en le suppliant de fuir. Gennaro qui n’est pas parti, se retrouve en compagnie de ses camarades à une fête donnée par une jeune patricienne. Survient Lucrèce qui leur annonce qu’ils sont tous empoisonnés. Elle découvre avec terreur Gennaro et tente de le sauver. Mais, inexorable, il l’accuse et la poignarde.
Avant d’aller encore plus loin, je vous propose la distribution de la pièce :
Béatrice Dalle : Lucrèce Borgia
Pierre Cartonnet : Gennaro
Alain D’Haeyer : Don Alfonse d’Este
Radouan Leflahi : Jeppo
Marc Agbedjidji : Oloferno
Mickaël Houllebrecque : Ascanio
Juan Rueda : Apostolo
Pierre Bolo : Maffio
Jérôme Bidaux : Gubetta
Marius Moguiba : Rustighello
Catherine Dewitt : La Negroni
Composition musicale / Chant : Butch McKoy
Vous avez vu dans la distribution, un chanteur : Butch McKoy.
1ère originalité de la mise en scène que j’ai particulièrement appréciée… musique en live.
Quand débute le spectacle, ombre et lumière… une guitare, une voix… une belle ambiance s’installe.
« Butch McKoy, musicien et chanteur dans le spectacle Lucrèce Borgia, nous offre un concert acoustique en petit comité. Avec sa guitare, sa voix sensible et expressive, il nous entraîne dans une ambiance folk et dans un rock à fleur de peau ».
Je vous propose pour vous faire une idée, une vidéo de ce chanteur… ce n’est pas celle du spectacle de Lucrèce Borgia, mais cela donne une idée.
J’ai vraiment beaucoup aimé !!! 1er gros coup de cœur…
Le décor est dépouillé, moderne, souvent entre ombres et lumières… dans le fond, des rails métalliques portant des projecteurs de lumière, montent et descendent… Cela crée une ambiance très particulière, parfois intime, parfois inquiétante, glauque… Ce mur de projecteurs à la verticale reflète les corps en mouvement dans l’eau noire… Seules apparaissent très lumineuses, les lettres BORGIA.
Dans l’eau… oui car la scène est composée d’un plateau d’eau et tout au long de la pièce, alternent différentes séquences de jeux d’eau, de jets d’eau… les acteurs y sautent, s’y vautrent, éclaboussent… cela donne une mise en scène originale, intéressante !
Les jeunes acteurs qui forment la bande d’amis de Gennaro sont comédiens, danseurs et acrobates. Ils ont un look très actuel, habillés comme les jeunes de nos jours, plutôt bien musclés (vous voyez les danseurs de hip hop ou de Capoeira). D’ailleurs, leur plastique irréprochable est bien mise en valeur !
Ils sont très doués en danse et acrobatie, mais certains ont plus de prestance théâtrale et une meilleure diction que d’autres. Pour certains, cela a nui un peu à la bonne compréhension du texte. Heureusement, ce n’était pas les rôles principaux.
Pierre Bolo qui joue le rôle de Maffio, le très grand ami, le frère de Gennaro, sort du lot parmi ces jeunes acteurs. Gennaro qui est joué par Pierre Cartonnet est un peu moins bon… mais il s’améliore je trouve dans la 2e partie de la pièce.
Un qui m’a paru vraiment excellent acteur et pour qui j’ai eu un gros coup de cœur est Jérôme Bidaux dans le rôle de Gubetta qui est l’homme de mains, l’homme des basses œuvres de Lucrèce Borgia. Il joue très bien, tout en finesse, avec plein d’humour, de dérision… Un vrai bon acteur de théâtre. Je viens de voir ceci à son propos dans une critique « Jérôme Bidaux, éblouissant Gubetta, chez qui la jouissance du mal ne se départ jamais de la mélancolie la plus noire »…
Un autre qui est très bon aussi dans un autre genre est Alain D’Haeyer qui joue Don Alfonse d’Este, le 4e mari (et encore vivant ! exploit) de Lucrèce. Son jeu est subtile, puissant… très bien !
En face malheureusement, Béatrice Dalle fait pale figure.
Elle qui dit en interview qu’elle ne veut pas jouer Lucrèce mais l’habiter… et bien, elle n’y réussit point.
Le choc est rude dès son entrée. Son physique a changé depuis Betty… mais bon, c’est le lot commun à tous. Mais on ne la sent pas du tout à l’aise dans ses mouvements, complètement coincée… et le monologue qui débute son entrée est dit sans aucune émotion. Sa voix porte peu… et c’est le cas tout au long de la pièce.
Son jeu s’améliore un peu vers la fin… mais à peine.
J’en attendais peut être beaucoup, mais c’est vrai que vu sa personnalité, elle aurait pu, elle aurait dû ne faire qu’une avec cette Lucrèce Borgia, cette empoisonneuse, incestueuse, fille de pape et de courtisane à la réputation sulfureuse et détestable. Ce rôle était pour elle… et elle n’en fait rien. C’est dommage.
Heureusement, la puissance du texte, la mise en scène ingénieuse, pleine de vie, de surprises font que cette pièce reste une magnifique réussite et nous insuffle une énorme vitalité, une puissance, une force incroyable….
Je ne voudrais pas oublier de citer une actrice, Catherine Dewitt qui joue La Negroni, une princesse décadente… très bonne actrice, belle diction… elle aurait sans doute pu, ma foi, faire une belle Lucrèce Borgia !
Originalité encore dans la mise en scène des combats… on ne voit aucune épée…. non… juste des combats de lutte à mains nues, de danses hip hop etc.
Et pour montrer la décadence extrême de cette société… une fête incroyable, très « sexuelle » où les hommes sont travestis avec des robes d’époque et dansent, s’enivrent… jusqu’à la mise à mort, terrible, dans une lumière rouge… rouge sang.
Oui, dans ce spectacle, on va de surprises en surprises… et on en ressort habités, vivants…
Donc, vous l’aurez compris, j’ai passé une excellente soirée avec une très bonne amie !